Nous sommes à Venise! Et Venise lors du carnaval, c’est un peu comme New York lors du Nouvel an, comme quand t’as fini tes exams à l’unif après une session interminable, comme s’élancer du haut d’une piste de ski déserte par grand ciel bleu. C’est magique, t’es tout fou, t’as envie de courir partout (ou descendre tout schuss), tu contemples un horizon de liberté balayé par un vent de folie. Et en parlant de vent, y’en avait (enfin, surtout à l’avant du bateau)! Un vent italianisant, une envie de vivre à l’italienne et de profiter d’une expérience unique… celle du carnaval.
La vita è teatro. Tutti in maschera.
En tout cas, Charly et moi, on ne tenait pas en place. Sur un coup de tête, on avait décidé Venise et son carnaval, en grande partie influencés par les prix presque-intéressants du presque-low-cost Ryanair, les dates qui nous arrangeaient super bien (par un chanceux hasard) et l’unique auberge de jeunesse de Venise (située sur la Giudecca) qui n’affichait pas encore complet. Hop lààà, un coup de Visa, un routard in ze pocket, et nous voilà on the road again.
On arrive un soir de février franchement pas tropical, voire carrément glacial et on descend du bus devant un moderne pont, qui outre jurer fâcheusement avec le genre traditionnel architectural vénitien (n’importe quoi d’un peu vieillot et romantique en fait), me rappelle subtilement notre bonne gare des Guillemins version Calatrava. Et pour cause… C’est de lui aussi.
Brefle, ici on quitte le continent et les voitures, mobilettes, motures et autres engins pollueurs pour découvrir Venise à pied. À pied, mais sur un vaporetto qui nous emmène vers la Giudecca, et vers notre auberge de jeunesse. A peine sur le vaporetto, je file mettre mon nez au vent du soir et ouvrir mes poumons aux senteurs de la mer et de l’essence des bateaux. Je suis impatience de voir des gens en costumes, je suis exaltation, je suis liberté et je suis frigorifiée. CA CAILLE!! Donc je reste un temps record de 2 minutes les cheveux dans la bouche, le nez en l’air à l’avant du bateau, puis je rentre m’assoir près de Charly. On a 4 jours à plannifier. Bon, demain, on fait quoi?
Lever avec le soleil, à quelques heures près, qui filtre par la fenêtre sans rideaux de mon dortoir à l’auberge, et je suis à nouveau exaltation, impatience, découverte, folie furieuse. Charly et moi petit-déjeunons rapidement, on a trop envie de profiter de ce pâle soleil Vénitien qui nous soulage de ce temps pluvieux et geignard bien de chez nous. Un pieds, un nez dehors et on est soufflé par le vent piquant et le beau ciel bleu au dessus de Venise. On saute dans un vaporetto et on s’enfuit vers la Piazza San Marco. On n’a aucune idée de ce qui nous attend, mais déjà on voit des petites fourmis hautes en couleurs s’activer loin devant nous. Appareil photo: check. Gants: check. Echarpe: check. Motivation: mille fois check!
On nous décharge sur un petit ponton en bois, et on s’élance farouchement vers ce flou artistiquement coloré et foudroyé d’un soleil pale mais téméraire. On n’est pas très loin de la Piazza San Marco, et déjà c’est le Gran Teatro, la Masquarade Party! LÀ! Un couple habillé d’un magnifique costume noir et doré, de chapeaux, de collerettes, de fraises, de panache, de férie! Je me rue! De toute évidence, le couple a l’air de prendre un super panard à se tourner lentement, se pencher, faire des clins d’oeils, se pavaner… Ainsi que les dizaines d’autres copains costumés que je commence à remarquer. Ils sont partout! J’ai envie de courir partout et de prendre 1000 photos magnifiques! D’ailleurs, je!
Partout, la foule rit et s’extasie devant tant de couleurs, tant de masques différents, et je suis moi-même carrément impressionnée par tant de recherche, tant d’efforts dans les déguisements. Ca brille, ça se pavane, ça sent bon la légèreté et l’insouciance. Chaque masque possède sa propre histoire et notre but est de la découvrir. Le monde usé de la Commedia dell’arte a bien changé depuis les drames tragiques et les comédies exaltées, et l’évocation des pittoresques Colombine, Scaramouche ou Arlequin s’est transformée en Cléopatre, Dieux Incas, Quatre Saisons, guerriers médiévaux.
Puisque, il y a 400 ans, la République de Venise elle-même invitait les Vénitiens d’un jour ou de toujours à critiquer et à se moquer de qui on voulait dans le rire et la bonne humeur lors du carnaval, il n’est pas question de changer aujourd’hui, mais plutôt d’étendre les frontières de la Commedia à, disons… Oh! Un esprit Chinois dans un beau costume traditionnel rouge et noir qui fait causette à la Mort. Oh, un paon qui se pavane et déambule en faisant la roue non loin d’une guimauve géante (oui oui, un costume de bonbon, rose et dégoulinant)! La comédie all’improvista s’est juste modernisée. Y’en a pour tous les gouts, et moi, je cours partout en essayant d’immortaliser … ben, la Mort.
Ne cherchez pas Colombine, elle est au carnaval.
Après avoir passé une journée entière et entièrement magique à flashouiller tout et tout le monde, à changer d’angle de vue, à jouer à cache-cache avec des masques, ou à saluer il medico della peste, il est temps de poser nos émotions et de se laisse aller à aimer boire et manger un morceau, “à vider un flacon, à entamer un pâté”.
Un vin blanc sec accompagné de quelques chips ou pop corn salés dans le quartier estudiantin de Campo San Margherita (dans un petit caftard étudiant aux couleurs chaudes et accueillantes), ou un prosecco et des petits anti pasti dans un pub irlandais (pour rester dans le thème du carnaval vénitien, n’est-ce pas) du côté du Ponte di Rialto, et la journée s’achève sur un récapitulatif émotionnel d’un trop plein de souvenirs (déjà). Bien qu’en rupture totale avec la ville de Venise même, le Devil’s Forest nous est apparu comme régénérateur d’une journée épuisante bien comme il faut, salvateur du côté de chez Swann nos estomacs et vraiment très agréable. Prosecco time!
Néanmoins (comme disait Cléopatre), Venise reste une ville quasi … chère. Sans parler de la période carnavalesque, où il faut se perdre loin de la place San Marco pour dégoter un casse croute bon, consistant et pas hors de prix (Byzance quoi). MAIS, on l’a trouvé! Une impression soudaine de débarquer au Texas ou au Mexique, des tables en bois, des murs aux couleurs
chaudes brûlées décorés de cactus kitsch, et de bonnes pizzas à manger sans grandes pompes. J’ai nommé: la pizzeria Ae Oche (toute une histoire d’oies) dans le quartier de San Polo.
La journée s’achève sur un voyage de nouveautés vénitiennes, de découvertes historiques et culturelles, de soleil tiède, de vent frigorifiant, de masques lumineux, de pop corn salés et de chocolat chaud all’italienne (pas en même temps), et c’est avec impatience qu’il est prévu, un jour, de revisiter Venise.