
Les italiens roulent comme ils parlent: nerveusement. Ils semblent avoir une vague notion du code de la route, qu’ils appliquent ou pas, c’est pareil. Et vas-y que je squatte 2 bandes (et 2 places de parking aussi, avec un carosse tout à fait récent de type “cinquecento”), et que je zigzag entre les autres un peu n’importe comment, vas-y que je klaxonne tellement que personne ne sait jamais à qui ça s’adresse, vas-y que je te coupe, que je bouffe ta priorité, et que je m’enfile rouge sur rouge (pas du vin, cette fois).

Marita, un truc qu’elle adore, qu’elle kiffe, qui la rend maza, c’est de se garer en diagonale, de guingois. Y’a laaaaargement la place pour se garer parallèle, mais elle, elle fout sa brouette en diagonale, la laisse là, pas même fermée a clé (c’est vrai que son cageot, qui en voudrait? Un vélo la double en montée par vent fort). Moi, ça me fait vaguement rire en loucedé, mais j’ouvre des mirettes grandes comme des rondelles de pastèque quand je me rends compte que c’est une mode locale. Tout le monde se gare comme ça! Et puis y’a parfois un anarchiste qui se gare parallèle. Et c’est normal de froler les rétros et de zigzaguer habilement, je le reconnais volontiers, dans ce tétris de carosses. C’est normal. Bon.

Les italiens parlent comme ils conduisent: nerveusement, et vite. Le geste bien connu, tant de fois immité, de secouer les doigts d’une main rassemblés en un point, ce n’est qu’un infime exemple de l’impatience du peuple. D’abord j’ai pensé: un pays où les gens sont nerveux, impatients et ont décrété que de 12h à 16h on fait la sieste, est un pays pour moi! Mais à tout bien réfléchir… Ils me filent une boule au bide à se stresser les miches pour rien. Loris ne parle pas. Il s’agite, et déverse flots et marées de mots, élève le ton, s’exclame, s’exite. J’ai continuellement l’impression d’avoir été prise la main dans le pot à cookies quand je suis dans la même pièce. Et pourtant – heureusement? – ce n’est même pas à moi qu’il parle. C’est ça, le sud?



Mais in realtà, ils ne sont pas tous comme ça. Y’a Léon aussi, un ancien soldat, qui a tout vu et tout vécu, en Afrique et un peu partout. Léon parle plus calmement. Il a surement compris que ça ne sert à rien de se stresser le fion. Et puis y’a Silvia et Stefano, qui passeraient presque pour scandinaves à leur manière de parler posément. Et moi, cages à miel déployées en grand, j’écoute avec intéret tout ce qui se dit, je plonge dans mon dico pour y vérifier un mot que je n’ai pas compris, j’interviens parfois. Je remercie intérieurement l’ami Bembo, et plus tard Manzoni qui avaient compris, à une intervalle de plusieurs siècles, qu’il était nécéssaire d’imposer une norme, un italien standard, réduisant poco a poco l’écart entre le nord et le sud, et anticipant ainsi déjà l’unification italienne. Des mecs bien, les pap’s! Ils avaient già tout compris!
Et c’est ainsi que mon italien académique, celui appris à l’unif et dans les livres, le “bon italien” toscan, comme le voulaient les pères de la langue, est en vérité tout à fait adapté dans le trou de cul du fin fond de l’italie. Tout le monde me comprend, personne ne rit, tutto bene. Les italiens vivent aussi de manière tout à fait adaptée à l’astre suprème. Ils se lèvent tôt, profitent de la fraicheur du matin (tout est relatif bien sur puisqu’à 9h je me liquéfie déjà de chaleur et d’ennui). Entre midi et 16h, plus personne ne fait un pet, et les pauvres malheureux qui se retrouvent sous le soleil se dégoulinent dessus. *Un nuage cache le soleil l’espace d’un instant et c’est un respiro di sollievo per tutta la Puglia* C’est sieste pour tout le monde. Même les poules se foutent à l’ombre. Crr crr. Crr crr. Crr crr. Ceux qui ne dorment pas (ou ne travaillent pas en ville) vont à la mer se dorer la pil’ jusqu’en début de soirée.

Puis on rentre tout tartouillé de sable et de sel, on fait la doccia, on se prépare à sortir. Corrigez-moi si je me trompe, mais chez nous en Belgique, quand on est invité à dîner le soir, chez des amis, c’est très grosso modo généralement entre 18h et 20h. Giusto? Ici, à 20h, le peuple se remet calmement de ses émotions et se prépare à sortir. On dîne tard, on profite d’un petit vent si petit vent il y a, on respire enfin. On finit de manger tard, parfois après minuit, c’est normal aussi. Buona notte.
