C’est le sud, des grillons, un soleil de plomb, que dis-je, une vraie chape de béton, un ciel bleu à en faire mal aux yeux, des routes de poussière (comme dirait Francis), des cactus éparses (style abandonnés le long d’une route caillouteuse et déserte dans le fin fond du Colorado, et imaginer dans tout ça une poignée de toccards en bottes de cuir par 32 degrés se dévisageant soigneusement, Colt at the ready + harmonica de Once Upon a Time in the West *Wa wa wa waaaaa*), des locaux nerveux qui s’agressent à coups de klaxons dans un patois criard, une mer azzuro, des petites criques secrètes et enjolives, et tous les produits que l’on doit rendre à César: le vin, les tomates et les olives, l’huile, tout. Les nuits sont chaudes et très parfumées des figuiers et de la terre qui se repose enfin des assauts excessifs du pote Rhâ. Abuse pas, mec! Je m’amuse bien, je prends des couleurs, je mange sain et local, je parle italien.Voilà ce qu’à peu près je vous aurais dit, si j’avais eu un peu de lettres et d’esprit, mais d’esprit… que dis-je? J’en ai! Or donc, tu l’as peut-être compris grâce à cette subtile description de mon quotidien depuis quelques jours, je m’imprègne des Pouilles autant qu’il m’est possible de tolérer tomates et pâtes à toutes les sauces. Littéralement.
Ca tombe plutôt bien, intelligente ragazza que je suis, j’ai choisi d’aimer les tomates et je pourrais ainsi en ingurgiter joyeusement des kilos par jour, si, si, des kilos, jusqu’à ce que mon intestin et mon colon me crient en coeur à la torture. Poétique, n’est-ce pas? C’est ça aussi le sud de l’italie. Et puisqu’on est au rayon bouffe, trait caractéristique reconnu mondialement comme représentatif du bien-être du bide et des papilles des italiens, parlons-en! Curieuse embassadrice de notre plat pays et toujours ouverte aux nouveautés culinaires d’autres contrées (tant que ça ne vit plus), je mets donc toute mon avide curiosité au service de mes hôtes… Non. Je mets donc mon avide estomac au service de mes hôtes. Non plus. Je mets finalement mon avide estomac au service de mon estomac (oui!) et je décide de ne refuser les mets qu’on me propose qu’en présence de mon avocat.

Rapidement je me rends compte que les italiens mangent simplement et sainement (incroyable! Hinhin): des tomates, des pâtes, chaudes ou froides, en salade avec des tomates et du thon, et avec tout ça, une bonne salade de tomates. Ni une, ni moi, cette vieille chimère amica mia, revient me sussurer à l’oreille qu’à la lumière de ce nouveau diet, je pourrais p’tet bien prendre en considération d’imaginer l’improbable idée de perdre quelques kilos, sotte idée que voilà. Il ne me faudra qu’une seconde d’hésitation à regarder les corps bruns et minces autour de moi lors de ma découverte de l’Adriatique pour que, mortifiée, je vote démocratiquement en faveur d’un régime local tomates-pâtes. Ma volonté s’inquiète déjà lorsque mon hôte me propose gaiement de préparer una torta avec elle pour les invités de ce soir. Torta = pâte sucrée, et confitures maisons. Du haut de mes 6 ans, je boudine, j’aplatis, je m’applique en sortant la langue, et découvre au passage toutes sortes de confiotes: arancia al whisky, et nespole. Nespole = nèfles. Et en français (dans le texte) littéraire, quand on parle de nèfles, on fait généralement référence au néant, au vide, à rien. J’ai donc fait une tarte à rien (le fin mot de cette petite baffouille est qu’en fait, la nespola est un fruit du sud, rond, jaune et très sucré).
La chaleur étouffante nous abandonne enfin à la partie la plus agréable de la journée, après que le soleil rasant ait disparu loin, loin, loin, et peu avant la nuit noire – bleue plutôt – et on profite, avec les sus-cités invités tout juste arrivés, de cette fraicheur bravement méritée. Le vent attaque délicatement nos capteurs olfactifs en vagues successives d’odeurs de la terre, d’arbres fruitiers, d’herbes aromatiques, le bleu ciel de fin de journée frappe un orange délicat et décline finalement en rose pale dans un horizon inconnu de par chez nous… En toute modestie, c’est plutôt carrément génial. Brefle, mangiamo. Ma première rencontre avec la frisa, Frisa, Sarah, Sarah, Frisa, c’est des grosses miches (grosses, les miches!) de pain brun faites traditionnellement selon la tradition, coupées en 2, trempées dans un peu, beaucoup d’eau, ”selon qu’tu la veux croquante ou toute molle” m’explique-t-on, sur laquelle tu déposes nonchalamment dés de tomates, poivrons verts, oignons, le tout arrosé d’huile d’olive et de sel aromatisé.
A s’en taper le cul sur un cactus, cette
découverte sudiste. Mes bonnes résolutions ne sont pas si loin, me dis-je pour me récompenser de ne pas me reservir en pain et de ne boire que de l’eau (l’acqua fresca, religion basique du sud de l’italie). Après cette concluante introduction, on apporte un autre élément vaguement rencontré, l’anguria. La pastèque. Je me félicite donc! De l’eau sous toutes ses formes! Get thee gone, kilos en trop, je vous gommerai! C’était sans compter leS dessertS. Pourquoi, Ô pourquoi trouvent-ils donc le besoin de compliquer un repas qui avait débuté si simplement, par une valse de desserts différents? Ma torta réalisée l’après-midi, un marbré au chocolat, un tiramisu et des petites dolci se retrouvent à se bousculer devant mes yeux gloutons à qui sera le premier à être dévoré. Ma bonne éducation, les règles de savoir-vivre dont je fais preuve chez les autres (si, si!) et ma culpabilité grandissante de désobéir à ma nouvelle religion mise à part me poussent donc à accepter avec reconnaissance la minuscule montagne anapurnienne de desserts variés que l’on me tend. Et bardaf, c’est l’embardée. Demain sur la plage, blanche comme un cacheton, rouge en devenir, et bourlets au vent, je pourrai donc entrer dans l’eau tiède en courant et espérer passer inaperçue, style tâche de ketchup sur une robe de mariée.