
N’en déplaise à mes parents et à mon amoureux, moi aussi un jour je ferai un de ces magnifiques voyages à l’aventure, sac au dos, plus en mode “If it ain’t free, it ain’t punk” que 90210. Moi aussi je franchirai ce pas de géant, l’excitation me faisant trépigner, et je partirai loin (peut-être plus tôt que prévu, puisque je suis sur le point de réserver un vol direct pour Delhi). J’en reviendrai changée, grandie, avec des souvenirs formidables, sans peur de l’inconnu, de l’imprévisible et des situations cocasses, comme tous ceux et ceusses qui sont partis en couchsurfing, en van, en sac à dos, en stop, bosser pour gagner leur croute, à l’arrache, à l’envolée, ces Sébastien, Pierre, Simon, Raph, Germain et Martin, Dani et Val, Cora et JY, et plus récemment, Damien, un anglais rencontré sur la route qui voyageait … sans gsm. Même pas peur!
Mais dans un premier temps, au lieu de revâsser à ces jungles thaïlandaises, ces temples népalais ou ces rizières chinoises, je me suis dit qu’il y avait aussi plus près de chez nous des territoires inexplorés, des peuples encore inconnus et que je ferais bien d’aller y faire un tour. Mon itinéraire s’étalait donc comme suit:
- Estonie: Arrivée en avion à Riga, Lettonie, d’où prendre directement un car (5h) jusque Tallinn, Estonie. Passer 3 nuits à Tallinn, et une journée entière à Helsinki (2h en bateau).
- Lettonie: Puis redescendre à Riga que je n’avais pas visité, pour 2 nuits.
- Lituanie: ensuite de quoi, contiuer vers la Lithuanie, Vilnius (5h), Kaunas (1h).
- Pologne: puis Varsovie (3h), et Cracovie, d’où reprendre l’avion pour rentrer.
Partir en voyage sur une dispute, qu’elle soit conjugale, familiale, ou avec une compagnie aérienne n’est jamais chose agréable. Or donc me voilà dans l’avion, et fait rarissime, je n’ai pas envie de partir. J’en ai gros sur la tronche, le coeur en bandoulière qui râle et qui proteste. Les gens autour de moi lisent leurs Routard et Lonely Planet, se renseignent sur la Lettonie et ses exotismes (y’en a, si si!) et moi je maudis cette compagnie low cost irlandaise (bleue et jaune, qui commence par Ry…air?) dont je tairai le nom qui a accepté de me laisser monter à bord moyennant la coquette somme de 60€ pour … RIEN! Soit disant, parce que le guichet d’enregistrement était déjà fermé. Mais.. mais.. JE SUIS A L’HEURE!! Ca m’apprendra à choisir une compagnie low cost mais highly efficace pour te gratter 60€ le bagage sans raison, et où le guichetier est aussi steward à la porte d’embarquement, dans l’avion, mécano, cuistot, pilote, médecin de bord, et assistant social. Cependant, je n’ai pas le choix: je paye ou je ne pars pas. Donc je suis assise dans l’avion, et je râle. Je ravale mon impuissance et mes larmes de crocodile. J’ai soif, je suis fatiguée (il est bcp trop tôt), mon amoureux me manque et j’ai toujours un pic de stress à faire redescendre. Et en plus, je n’ai pas envie de participer à ce festival de boissons et de p’tits dejs hors de prix. J’aimerais bien juste une seconde qu’on arrête de prendre les gens pour des cons avec des bouteilles d’eau de 20cl à 3€, ou à leur extorquer le moindre petit penny à chaque occasion plus ou moins plausible. On est vraiment les dindons de la farce, et ça me fait enrager! Beau début de séjour en perspective!

Mon arrivée à Riga ne se fait pas dans la dentelle, mais dans un gros éclat de stress. “Prise 217, ACTION!” Avec l’heure de décalage, j’ai 3h à poireauter jusqu’à mon car vers Tallinn. Je pense d’abord à aller étancher ma fatigue avec une petite sieste dûment méritée dans un champ en face de l’aéroport, où j’étale mes jambes et je choisis une position confortable (ce qui n’est pas le cas de certaines compagnies low cost… OUI je rumine toujours). Bref, brève, la sieste, car il se met à flotter. Bon. TGI Fridays me propose sa soupe du jour et j’ai besoin d’un bon thé aussi. Le tout pour moins de 4€. Allez, ça va, j’arrête de râler. J’en profite pour chipoter avec mon vieux Nokia que j’ai du récupérer suite à une petite embrouille avec une pomme et il me fait des misères. Dans un coin de ma tête résonne Roy et The IT Crowd:“Have you tried turning it off and on again?”Et donc je. Et là, crac boum hue, bardaf, c’est l’embardée. Il refuse, s’obstine, et me demande mon code PUK. Bien sur, je ne l’ai pas. Je réalise soudain l’ampleur de la situation. Tous les numéros des Couchsurfeurs que je dois rencontrer, dont le premier pas plus tard que le soir même, sont dans mon smartphone. Ma connection à internet vient de rendre l’âme. Et mon code PUK est sur une étagère dans mon salon. Ne pas paniquer, on va arranger ça.
Je laisse mon sac aux bons soins de la jeune serveuse qui a bien compris que quelque chose ne va pas, et je fonce à la librairie la plus proche (et accessoirement aussi, la seule du petit aéroport). “Pre-paid cards?” Connait pas. Bon. Changement de programme: le desk information. “Un téléphone à pièces? Il n’y en a qu’un au -1 et il est cassé. Allez voir à la compagnie de taxis, ils vous laisseront utiliser le leur pour 1 lats/ minute” (=0,70€). Je commence à paniquer, à perdre patience, et courage. Quel numéro connais-je par coeur? Qui vais-je bien pouvoir appeler? Robin n’est plus chez moi. Ravaler les larmes, et c’est encore le père qui me sauve (P’pa si tu me lis, t’es mon héros!). Je l’appelle en pleurant, submergée par la fatigue, le stress, la frustration d’un voyage qui débute si mal. Heureusement, il n’est pas loin, file chez moi et me rappelle dans la minute avec mes différents codes de sécurité. La jeune hôtesse blonde me regarde sans trop savoir quoi faire et me tend timidement un mouchoir. Je lui demande combien je lui dois, elle me dit que c’est rien. Super, elle a pitié de moi. Mais ça me fait plaisir quand même.

Arrivée à Tallinn après ces quelques épisodes craignos et une poignée d’heures de car, je me demande un peu où je suis tombée. Ce que je ne sais pas, c’est que Tallinn est un peu à l’Estonie ce que Frankfort est à l’Allemagne: une ville de contrastes et pas des moindres. D’une part de grands et gris buildings sans âme et sans histoire, des quartiers reliés entre eux par des étages de galeries commerçantes, et traversés par autant de trams que de bus (tzzzzk-tzzzzk = bruit des lignes de tram). Et d’une autre part, une vieille ville au coeur historique tout joli, rempli d’histoires riches (d’une société Hanséatique qui fut à l’origine d’un commerce efficace au Moyen-Age) et de petites ruelles typiques.
D’un coté les appels d’un consumérisme international avec des enseignes criardes vues et revues qu’on trouve aussi chez nous, de l’autre des petits marchés bruyants où déambulent des vendeurs sympathiques dans des costumes de paysans, des senteurs de cuir et de bois qui nous chatouillent les narines, et de l’ambre. Partout de l’ambre! Jaune, blanc, orange, vert, vrai ou faux, pierre ou plastique, partout et sous toutes ses formes. Avec le recul, j’ai l’impression pourtant que c’est à Tallinn que j’en ai vu le plus, sur les 3 états Baltes que j’ai visité. C’est là aussi qu’il est le plus cher, même s’il est toujours considérablement moins cher que dans le reste du monde puisque 90% de la production mondiale vient des côtes Baltes.
Et partout, aussi, on entend parler Russe! ‘tention! Spassiba adressé à un Estonien pure souche, et il risquerait bien de voir rouge (ce qui serait un comble, hinhin). Et quand on fouine un peu sur l’histoire de ce petit pays, on comprend pourquoi après autant d’années de domination des armées Russkov ou Allemande ils revendiquent enfin fièrement leur identité nationale. C’est un bébé pays tout fier et tout…bébé, puisqu’il ne s’est réellement libéré de la mère Russie que depuis une vingtaine d’années. D’ailleurs, on ressent encore très fort l’emprise Soviétique ici et là, dans une attitude fermée à l’égard des touristes, dans un caractère rude et distant probablement dus aux conditions de vie difficiles encore très proches. Et au fil des jours les contacts avec ce peuple froid et distant, fermé, qui ne parle pas bien anglais mais que fait pas d’effort non plus, ça a vite tapé sur mes nerfs de sudiste belge que je suis (oui bon, au sud de l’Estonie, c’est pas dur).

Et ce n’est pas faute d’essayer de me rapprocher de ces gens lointains. Peuple lointain géographiquement mais aussi si lointain de la spontanéité que l’on retrouve par chez nous, et plus généralement dans les pays du sud, l’aide des locaux à un touriste perdu, un début de conversation chaleureux et authentique… Je le ressens déjà ici à Tallinn, ce changement. Je n’en suis pas encore bien consciente, je viens d’arriver, mais très vite je le remarque: dans le bus qui relie les capitales, les locaux ne parlent pas entre eux, restent dans leur coin. Les étrangers eux, se font la converse: un couple de Nouvelle Zélande, un jeune Portugais, on fait papote, on s’échange des anecdotes, le temps passe plus vite, et c’est plus z-agréable. Mais je suis là pour ça, non? Pour découvrir, m’enrichir culturellement, faire des rencontres, apprendre des autres.

Heureusement pour moi, mes hôtes ne sont pas aussi fermés. Et pour cause, dira-t-on! S’ils sont sur Couchsurfing et qu’ils ont accepté de m’héberger, c’est qu’ils ont eux aussi envie de voir du monde et de rencontre d’autres gens. Agata est Estonienne, Saba est Iranien, il finit des études d’ingénieur à Tallinn. On fait connaissance, on regarde un film en mangeant des graines de tournesol, on discute pays, attentes, cultures, vie, nos expériences sur Couchsurfing. Celle-ci commence bien, en tout cas! La nuit est claire et chaude, l’air est lourd, et le premier soir, je ne dors pas très bien. Arrivée un 24 Juin, c’est rater de près la fête de la Saint Jean, et le solstice d’été, célébrations très importantes pour les Estoniens. Ma première nuit en Estonie est donc la dernière nuit la plus courte par rapport au nombre d’heures de luminosité, et ce jusqu’au solstice d’hiver. C’est pas ça qui m’empêche de dormir (sans blague!), mais tout de même, c’est une étrange expérience. Le ciel n’est pas exactement obscure pitch black comme il devrait l’être à 2h du matin. C’est plutôt le bleu foncé, entre chien et loup, qui nous ramène chez nous au petit matin échevelé et fatigué après une nuit dididouuuw. Et ça ne dure pas longtemps! A partir de 4h, on fait machine arrière, et en quelques minutes, il fait jour! Enfin, jour, nuit, ça ne change pas grand chose pour ces foutues cigognes qu’on entend se battre et se disputer (enfin, c’était mon impression, alors qu’il s’agit probablement juste d’échanges banaux en langage cigogne). Bref, je m’endors finalement pour une longue nuit réparatrice de 5 mini heures, puisque à 6h je suis déjà debout et je file à l’anglaise en direction de la Finlande! Tchô bande de slips!